L’accident est défini comme un évènement soudain entraînant des conséquences dommageables qui met en jeu la responsabilité d’un tiers.
Habituellement, il s’agit d’un accident dans la vie courante (dans un supermarché, sur son lieu de travail, sur une voie de circulation) ou consécutif à une faute médicale (erreur de diagnostic, de traitement, erreur lors d’une intervention).Plus rarement, il peut s’agir de faits volontaires qui présentent le caractère matériel d’une infraction pénale.
Notre propos ne portera donc pas sur les conséquences dommageables d’une longue maladie (caractère non accidentel et absence de tiers responsable) ou les cas spécifiques tels que les victimes de l’amiante, du sang contaminé, d’un acte de terrorisme ou d’une atteinte à l’environnement (pollution de l’eau…) qui font l’objet de dispositions légales particulières.
Les textes qui permettent de voir retenir la responsabilité d’un tiers sont les suivants :



Ces articles définissent la responsabilité quasi-délictuelle.
La victime, qui veut être indemnisée, doit démontrer : une faute, un dommage et le lien de causalité entre cette faute et ce dommage.
La Jurisprudence a cependant une notion large de la faute. Ainsi la responsabilité d’un centre commercial est retenue, en sa qualité de gardien des lieux, lorsqu’une victime chute dans un escalator, après avoir été bousculée par un tiers (Cass. 2ème – 29.03.2001) ; celle d’un supermarché est retenue en cas de chute sur un sol glissant même si celui-ci était signalé (Civ. 2ème 11.12.2003).

La loi BADINTER est donc particulièrement protectrice des victimes d’accidents de la circulation, puisque qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une faute du tiers, pour être indemnisé.
La Jurisprudence a également largement étendue la notion d’accident et de d’implication d’un véhicule terrestre à moteur pour permettre l’application de cette loi protectrice (notamment à un accident consécutif à la manipulation d’une remorque d’un camion à l’arrêt, à un tracteur…).

Là encore, les tribunaux ont étendu, au fil des années, la responsabilité des praticiens et établissements, notamment en estimant que le médecin devait rapporter la preuve qu’il avait respecté son devoir d’information (Civ. 1ère 25.02.1997) ; le praticien avait le devoir de recourir à l’aide de tiers compétents en cas de doute sur le diagnostic (1ère Civ. 27.11.2008) ; un simple retard dans l’hospitalisation de la victime suffisait à caractériser une perte de chance indemnisable (1ère Civ. 14.10.2010 N°09-69195).




Une fois définie le texte applicable à l’accident d’espèce survenu, tâche qui incombe aux avocats, se pose la question d’une classification des différents dommages consécutifs, afin de permettre leur juste indemnisation.
Jusqu’en 2005, différentes nomenclatures coexistaient, notamment :



Le Gouvernement a souhaité une harmonisation et dès lors, l’élaboration d’une nomenclature commune des préjudices.
La fin de l’année 2006 et le début de l’année 2007 ont été marquées par la mise en œuvre de cette réforme de la notion d’indemnisation du préjudice corporel.
La Jurisprudence, depuis un arrêt de principe de la Cour de Cassation du 28 octobre 1954, a posé le principe de la réparation intégrale du dommage.
Il convient également de rappeler que nous sommes dans le cadre d’un mécanisme compensatoire qui relève de l’appréciation souveraine des Juges du fond.
Ceux-ci ne sont tenus par aucun barème (Cassation 2ème Chambre Civile, 21/04/2005), ni par aucune méthode de calcul (Cassation 3ème Chambre Civile, 03/10/1990).
Pour autant, les Cours d’Appel, comme celle d’AIX-EN-PROVENCE, établissent des statistiques, qu’elles présentent comme étant « des éléments de détermination de l’indemnisation des préjudices corporels et moraux ».
C’est une base de travail incontestable pour les professionnels.
En 2005, la Cour de Cassation a nommé le Président de sa 2ème Chambre, Monsieur DINTHILLAC, à la tête d’une Commission chargée d’établir une nouvelle nomenclature visant l’indemnisation des victimes et ainsi, d’harmoniser l’indemnisation des dommages, directs, indirects patrimoniaux, extra-patrimoniaux, permanents ou temporaires.
C’est pour la France, une méthode de création du droit tout à fait nouvelle de nature prétorienne.
Cette nomenclature distingue les préjudices temporaires des préjudices définitifs.
La terminologie a changé.
On parle de Déficit Fonctionnel Temporaire pour ce que nous appelions avant l’Incapacité de travail temporaire et de Déficit Fonctionnel Définitif, ce que nous appelions avant l’Incapacité permanente partielle.
Pour le premier, il s’agit de la période pendant laquelle on ne peut plus avoir d’activité, soit totalement, soit partiellement.
La seconde correspond au pourcentage des séquelles, une fois que l’on est consolidé, c’est-à-dire une fois l’état physique stabilisé.
Cette nomenclature DINTHILLAC distingue aussi les préjudices patrimoniaux, des préjudices extra-patrimoniaux.
Dans les préjudices patrimoniaux temporaires, on a les dépenses de santé, le coût d’une tierce personne temporaire, l’incidence professionnelle temporaire, c’est-à-dire la perte de revenus totale ou partielle, point qui sera envisagé dans le cadre de cet exposé.
Dans le cadre des préjudices définitifs, il y a les frais futurs de santé, c’est-à-dire les frais médicaux d’infirmiers, de prothèses, qu’on sera obligé d’avoir, peut-être toute sa vie.
Il y a les frais de logement adapté, qui peuvent être très importants pour les cas d’handicaps lourds où il faut réaménager le logement, mais aussi le véhicule.
Il y a les frais de tierces personnes à titre définitif.
Il y surtout, point point que nous allons envisager aujourd’hui, l’Incidence Professionnelle Définitive. Il s’agit d’analyser les conséquences du préjudices sur le revenu de l’entrepreneur mais également sur le patrimoine professionnel.
La nomenclature retient aussi des situations de pénibilités, c’est à dire le cas où une personne conserve son activité ou son emploi, mais du fait de son handicap, perd sa qualité de vie, cet handicap générant une fatigue supplémentaire.
Et puis il y a les préjudices extra-patrimoniaux (que nous n’envisagerons pas aujourd’hui, mais qu’il faut connaître), c’est-à-dire :




Après consolidation, on évalue bien sûr, le Déficit Fonctionnel Permanent, c’est-à-dire le pourcentage de séquelles.
Autres postes :

C’est la perte de certaines activités de la vie,


Le panel est extrêmement large.
Dans le cadre de cette matinée, nous envisagerons le cas spécifique du préjudice patrimonial de l’entrepreneur (appellation très générique, comme on vous l’a indiqué) que ce préjudice soit temporaire ou définitif.
Nous avons, en effet, classiquement décidé de suivre ces deux étapes.


Il faut, malgré tout, avant d’aller plus avant, distinguer la perte économique de l’entreprise de celle de son dirigeant.
Cette distinction n’est pas toujours facile à faire, notamment lorsqu’il s’agit de petites entreprises (ex. : E.U.R.L.), mais aussi de commerçants, artisans, ou professions libérales exerçant à titre individuel.
Pour autant, on ne peut ignorer que la Jurisprudence a, au fil des années, fait émerger la notion de dommage économique par ricochet, personnel et direct pour l’entreprise.
On parle de dommage par ricochet, puisque l’entreprise n’est pas la victime directe, mais une victime indirecte, du fait de l’absence temporaire ou définitive de son dirigeant, de son homme clef.
Ce principe du dommage économique par ricochet personnel et direct de l’entreprise, a été posé de façon claire notamment par la Cour d’Appel de RENNES, dans une décision du 8 décembre 1995, décision dont la motivation est très intéressante puisqu’il est indiqué :
« la perte de capacité bénéficiaire de l’entreprise due à l’absence d’activité totale ou partielle de son chef, donne lieu à un calcul complexe que seul un expert comptable judiciaire ou amiable est en mesure de réaliser ».
I. LE PREJUDICE TEMPORAIRE
A/ Les protections sociales et assurances susceptibles d’être mises en place pour assurer la pérennité de l’entreprise et des revenus de l’entrepreneur pendant la période où celui-ci est accidentéIl est important de souligner le fait que les régimes obligatoires de protection, malgré leur mise en place, sont très insuffisants.
Les deux principaux régimes, Régime Social des Indépendants (RSI) et salarié garantissent un revenu de remplacement égale environ à la moitié du revenu de l’entrepreneur.
Le RSI se base sur la moyenne des revenus des trois dernières années avec un minimum de 19,64 € par jour et un maximum de 49,10 € par jour (arrêt de travail établis à compter du 1er janvier 2011).
L’indemnisation au titre du régime salarié est conditionné à une cotisation minimale correspondant à la rémunération effective d’un certain nombre d’heures, à savoir :
- Ouverture des IJSS pendant les 6 premiers mois si cotisation de 1015 fois le SMIC ou travail d’au moins 200 heures au cours des 3 mois civils ou 90 j précédant l’arrêt,
- Ouverture au delà si cotisation de 2030 fois le SMIC au cours des 6 mois ou 800 heures au cours des 12 mois civils précédant l’arrêt dont 200 heures au moins au cours des 3 premiers mois.
L’indemnité est plafonnée à 48,43 € par jour.
Face à cette insuffisance d’indemnisation il existe plusieurs régimes complémentaires.
Les complémentaires de prévoyance dite « Madelin » pour les Travailleurs Non Salariés font parti de ces complémentaires. Elles permettent une meilleurs indemnisations en fonction du contrat souscrit.
Au même titre que les IJSS, et en contrepartie de leur déduction fiscale, les indemnisations au titre des cotisations complémentaires sont imposables à l’Impôt sur le revenu.
En fonction des garanties, certains entrepreneurs préfèrent d’ailleurs ne pas déduire leurs cotisations au régime complémentaire (qui reste imposable sur la base des cotisations sociales) et éviter ainsi le risque d’imposer les indemnités.
Nous évoquerons également les assurances dites « Homme clefs » qui consiste à garantir l’entreprise de la « perte » du dirigeant en déterminant un capital, le profit de cette assurance étant imposable.
L’évaluation du préjudice temporaire reste un exercice complexe car il faut établir la relation de cause à effet entre le dirigeant et les résultats de la société.
Nous pouvons retenir certains critères telle la baisse de la marge, du chiffre d’affaires, frais d’exploitation supplémentaire (remplacement,.....).
Des éléments probants (contrat en cours, devis, ....) doivent justifier le cas échéant le quantum du préjudice.
B/ Le processus d’indemnisation pendant la période temporaire
1°) L’analyse des postes retenus par la nomenclature DINTHILLAC pendant la période temporaire :
Cette nomenclature distingue d’abord les préjudices subis par la victime directe qui demeure notre propos de ce jour et ceux de la victime par ricochet (conjoint, enfants…) que nous ne traiterons pas aujourd’hui.
Puis le rapport DINTHILLAC traite séparément les préjudices patrimoniaux temporaires qui nous intéressent et les préjudices extra-patrimoniaux que nous n’aborderons pas (il s’agit des préjudices corporels directs de toutes les victimes, qui évoluent seulement en fonction de leur âge et de la gravité de leur handicap mais non en fonction de leur situation professionnels).
a) Les préjudices patrimoniaux temporaires :

Ces frais sont généralement pris en charge en grande partie par les organismes sociaux. Seul le reliquat resté à la charge de la victime peut donc être obtenu. Il convient en conséquence de conserver soigneusement les justificatifs des dépenses et des relevés de remboursement des organismes sociaux.

Ce vocable très général, correspond aussi bien aux honoraires exposés pour se faire assister par un médecin conseil (notamment dans le cadre des expertises médicales) ; les frais de transport (à l’hôpital, chez un médecin, un cabinet de radiologie…) mais également les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles que la victime ne peut plus assumer (frais de garde d’enfants, soins ménagers, assistance temporaire d’une tierce personne pour les besoins de la vie courante, frais temporaire d’adaptation d’un véhicule ou d’un logement…).
Il est donc nécessaire de conserver tous les justificatifs correspondants : reçu ESCOTA ; chèques emploi-service ; facture de garderie…
La tierce personne qui aide la victime dans la vie courante (pour le véhiculer, lui préparer ses repas…) peut être un membre de la famille non rémunéré (conjoint, frère, soeur, parents…), l’indemnisation est possible sur une base horaire d’environ 11 € de l’heure. L’évaluation de cette assistance sera faite en fonction du handicap.

Il s’agit des pertes de gains liées à l’incapacité provisoire de travail, c’est-à-dire les pertes actuelles de revenus du fait du dommage.
Ces pertes peuvent être totales ou être partielles.
Les pertes sont évaluées sur justificatifs ; il faut donc en rapporter la preuve : bilan pour la période concernée en comparaison avec les bilans antérieurs…
2°) les délais d’indemnisation amiable :
La victime ou ses proches en cas d’incapacité totale, doivent adresser le plus rapidement possible une déclaration de sinistre à l’assureur du responsable en joignant les justificatifs (certificat médical initial, témoignages sur les circonstances de l’accident).
Cet assureur peut amiablement proposer une provision à valoir sur les préjudices, si la responsabilité de son assuré ne pose aucune difficulté.
Dans le cas d’un accident de la circulation, un procès- verbal par les autorités compétentes (Police ou Gendarmerie) est souvent établi et l’assureur du conducteur responsable, avisé par son assuré, en a connaissance.
En outre, en cette matière particulière, l’assureur a des obligations spécifiques, mentionnées aux articles L 211-9 et suivants du Code des Assurances :




La sanction prévue en cas de non respect de ces délais est que le montant de l’indemnité allouée par l’assureur ou sur décision judiciaire produit intérêts de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement (article L 211-13).
La provision n’est donc pas automatiquement proposée et ce, pour diverses raisons : traitement long par les assureurs, responsabilité de l’assuré non clairement établie ; insuffisance des justificatifs ; sanction faible (actuellement le taux d’intérêt légal est très faible).
Il est ainsi nécessaire d’adresser dès la 1ère déclaration des éléments fiables sur les préjudices notamment économiques.
La collaboration entre l’avocat et l’expert- comptable de l’entrepreneur doit donc débuter au plus tôt.
Hormis les dispositions particulières en matière d’accidents de la circulation, l’assureur du responsable n’est pas tenu de proposer une provision ou indemnisation.
3°) L’expertise médicale amiable ou judiciaire pendant la période temporaire :
L’expertise médicale est indispensable en cette matière pour déterminer les préjudices corporels et les préjudices économiques qui en découlent.
Dans le cas d’accident sérieux, l’expert qui examine la victime, quelques temps après l’accident, donne un 1er avis mais cet avis n’est pas définitif, en l’absence de consolidation.
a) Cet expert peut être désigné amiablement par :

S’agissant d’un médecin, il est certes lié par son serment mais son analyse sera moins favorable à la victime dans ce cas.

D’ores et déjà, à ce stade, il est important de faire état de tous les éléments en ce compris les conséquences économiques de l’accident.
b) A défaut de proposition d’expertise médicale amiable, ou en cas de rapport amiable insatisfaisant, il y a lieu de faire désigner judiciairement ce ou ces médecins experts (dans le cas où il convient d’obtenir des avis de praticiens de différentes spécialités : psychiatre, orthopédiste…).
Cette demande prend la forme d’une assignation en référé (juge de l’apparence et de l’évidence), dirigée à l’encontre du responsable et de son assureur, en présence des organismes sociaux.
En effet, les organismes sociaux doivent être parties à toute procédure afin de pouvoir faire état de leurs créances.
Cette procédure va prendre quelques semaines.
Même dans le cas où une procédure pénale au fond est en cours, la saisine du juge des référés civils à cette fin est possible, en application de l’article 5-1 du Code de procédure Pénale : « Même si le demandeur s’est constitué partie civile devant la juridiction répressive, la juridiction civile, saisie en référé, demeure compétente pour ordonner toutes mesures provisoires relatives aux faits qui sont l’objet de poursuites, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. »
Dans tous les cas (expertise médicale amiable ou judiciaire), il est vivement recommandé à la victime de se faire accompagner par son propre médecin conseil qui doit préalablement bien connaître la situation et notamment les conséquences économiques actuelles de l’accident pour son patient.
4°) Le versement de provisions, à titre amiable ou judiciairement :
Une demande de provision peut être sollicitée par la victime auprès de l’assureur adverse ou proposée par ce dernier.
S’agissant d’une avance sur l’indemnisation définitive à venir, il y a lieu d’accepter la provision offerte, quel que soit son quantum.
En l’absence de proposition ou dans le cas ou la provision versée amiablement paraît manifestement insuffisante au regard des dommages déjà quantifiables, il convient de réclamer une provision complémentaire, dans le cadre d’une procédure de référé.
Cette provision peut également être réclamée à l’occasion de la demande de désignation d’un médecin expert.
Cette demande de provision, proportionnelle aux dommages d’ores et déjà quantifiables, doit être justifiée.
Il est donc indispensable de produire notamment tous les éléments comptables établissant la perte de gains professionnels actuels :


Il est possible de réclamer en amiable ou judiciairement, à diverses reprises, de nouvelles provisions dans le cas où l’état de la victime ne permet pas d’envisager une consolidation avant de nombreux mois, voire plusieurs années.
L’allocation de ces provisions ne prend pas en compte les éventuelles créances des organismes sociaux, dont le montant ne pourra qu’être arrêté à la date de la consolidation.
Il faut donc éviter le risque que l’addition des provisions in fine dépasse l’indemnisation totale qui revient à la victime, après recours des organismes sociaux.
La victime serait alors dans l’obligation de restituer partie des sommes reçues, qu’elle aura peut-être déjà dépensée !
II. LE PREJUDICE DEFINITIF
Il convient de préciser préalablement la notion de consolidation.
Ainsi qu’il a été rappelé précédemment, une personne est estimée pour une Juridiction consolidée, lorsque son état de santé n’est plus susceptible d’évolution prévisible.
Cela ne signifie pas qu’elle ne pourra pas bénéficier d’une amélioration, notamment à la suite d’une intervention chirurgicale future mais non prévisible au moment de la date de consolidation.
<