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Sénégal : une loi pour favoriser la création et la promotion des start-up

Afrique - Droits nationaux
11/02/2020
L’année 2020 a, juridiquement, très bien commencé au Sénégal. En effet, après son adoption par le Parlement le 27 décembre dernier, la loi relative à la création et à la promotion de la start-up dans ce pays a été promulguée le 6 janvier 2020 par le Président Macky Sall. Les explications de Jacques Mestre, directeur scientifique du Lamy Sociétés commerciales, président de l’Association française des docteurs en droit.
L’exposé des motifs qui accompagnait le projet de loi gouvernemental avait clairement annoncé la couleur : valoriser les innovations, notamment technologiques, pour en faire un levier essentiel du développement de l’économie nationale, et aussi, de manière sans doute plus accessoire mais cependant non négligeable, pour accroître la compétitivité et la sécurisation des services administratifs. Ce qui, nécessairement, passait par la mise en place d’un arsenal juridique rompant avec la traditionnelle indifférence à l’égard des spécificités économiques des start-up : c’est-à-dire, notamment, leur vulnérabilité originelle, inhérente au temps nécessaire pour que les innovations produisent leurs effets bénéfiques ; l’insuffisance fréquente de leurs moyens de financement, ou encore leurs difficultés d’accès à la commande publique par manque d’ancienneté et d’expérience.
 
Dans cette optique, la loi nouvelle s’est donc efforcée de promouvoir et de soutenir la start-up, qu’elle prend soin, fort justement, de définir en son article 3 ou plutôt, dirons-nous, de délimiter de manière objective en la présentant comme « l’entreprise innovante et agile, légalement constituée depuis moins de huit ans, dotée d’un fort potentiel de croissance à la recherche d’un modèle économique disruptif et de mécanismes de financement adaptés à sa spécificité en vue de déployer sa capacité exceptionnelle de création de valeurs ».
 
Et on ajoutera que le législateur sénégalais n’a pas manqué ici d’ambition puisque, de façon complémentaire, il ajoute :
  • d’abord, sur le terrain du droit transitoire, que la loi du 6 janvier 2020 s’applique à toute entreprise déjà constituée sur le territoire national et ayant vocation à bénéficier du statut de start-up (art. 18) ;
  • et ensuite, sur le plan du droit international privé, qu’elle s’applique à toute start-up créée sur le territoire sénégalais dont le capital est détenu au moins au tiers (1/3) par des personnes physiques de nationalité sénégalaise ou résidentes au Sénégal ou par des personnes morales ayant leur siège social au Sénégal, ainsi qu’à toute start-up créée par des Sénégalais établis à l’étranger dont le capital est détenu au moins à 50 % par ces derniers (art. 2). C’est dire que, par cette disposition qu’on pourrait qualifier, au moins dans sa seconde composante, d’extraterritoriale, le Sénégal affiche clairement ses intentions d’être un pays favorable aux start-up et qu’en particulier, les Sénégalais de l’étranger sont invités, s’ils sont porteurs de projets innovants forts, à ne pas oublier que leur terre d’origine reste tout à fait prête à les soutenir !
 
Concrètement, la loi institue une Commission d’évaluation, d’appui et de coordination qui mettra elle-même en place une plateforme dédiée à la start-up, et permettant ensuite aux entreprises répondant à la définition précitée de l’article 3 de solliciter l’enregistrement, puis éventuellement la labellisation et, au travers de ces deux modalités, de prétendre à un statut préférentiel.
 
La première démarche concevable, pour une entreprise répondant à la définition légale de la start-up, est celle de l’enregistrement auprès d’une structure d’accompagnement publique ou privée d’aide à la création, à la promotion et au développement des start-up, qui aura été elle-même préalablement agréée par la Commission nationale précitée. Des précisions seront ultérieurement apportées par décret sur la procédure d’enregistrement, mais d’ores et déjà la loi, en ses articles 10 et 11, précise les principaux éléments de l’appui qu’elle pourra ensuite obtenir de l’État sénégalais :
  • obtention d’une subvention pour la formalisation de la société ;
  • réservation du nom de domaine.sn ;
  • soutien à la protection des innovations de la start-up auprès des organismes nationaux et internationaux de protection de la propriété intellectuelle ;
  • accompagnement des incubateurs agréés, des activités de recherche et de développement ainsi que tout autre accompagnement qui s’avérerait nécessaire durant la phase de démarrage de la start-up ;
  • accès à une plate-forme de formation, permettant aux start-uppers de solliciter des experts susceptibles de les accompagner dans des domaines tels que le marketing, la communication ou encore l’élaboration de business plans ;
  • et enfin – the last but non the least – mesures sociales, fiscales et douanières de faveur qui seront probablement précisées par les décrets à venir.
 
Ainsi, très clairement, l’État sénégalais exprime sa forte volonté de s’engager aux côtés des start-up qui feraient le choix du pays de la Teranga… un pays qui, une fois encore, mérite donc bien ce nom, en lui donnant à cette occasion une singulière consonance juridique ! 
 
Et ce d’autant plus qu’à côté de l’enregistrement, et une fois celui-ci accompli, une seconde démarche concevable sera pour la start-up de demander la labellisation, qu’elle devra solliciter auprès de la Commission nationale d’évaluation, d’appui et de coordination.
 
La loi se contente de préciser ici que la start-up devra, pour obtenir le label, répondre à des normes techniques particulières qu’un prochain décret d’application précisera. Mais, manifestement dans le souci de prendre rang le plus rapidement possible dans la grande compétition internationale que provoque la mondialisation, le législateur du Sénégal a d’ores et déjà précisé les avantages que fera naître cette labellisation :
  • accès à des fonds d’origine publique et privée spécifiques ;
  • mise en place prochaine, à l’initiative de la Commission nationale, de mécanismes alternatifs de financement ;
  • avantages douaniers ;
  • accès préférentiel à la commande publique, avec ici deux précisions expresses qui méritent de retenir l’attention : d’abord, celle « d’une marge de préférence de 5 % dans les procédures d’appel à la concurrence relative aux marchés publics, aux délégations de service public et aux contrats de partenariat » et, qui plus est, d’une marge cumulable, dans la limite de 25 %, avec tout autre avantage accordé par la règlementation sénégalaise ; et ensuite, celle de l’octroi de cette marge préférentielle de 5 % à non seulement la start-up labellisée mais encore « au candidat à un marché public, d’une délégation de service public ou d’un contrat de partenariat qui accepte de sous-traiter 30 % des prestations objet du contrat à une ou plusieurs start-up labellisées ou qui présente une offre en groupement avec une ou plusieurs start-up » (elles-mêmes labellisées si l’on interprète l’alinéa 3 de l’article 13 à la lueur de l’alinéa 4).
 
Voilà donc, pour s’en tenir à ce dernier avantage, une mesure particulièrement incitative pour des entreprises qui, de par leur ancienneté ou encore le cœur d’activité, ne sauraient prétendre à la qualification légale de start-up, de travailler en partenariat avec des start-up sénégalaises ou encore de leur confier en sous-traitance une part du marché pour lequel elles candidateraient.
  
Cela étant, et de manière prudente, le législateur sénégalais a eu également la sagesse d’anticiper les éventuelles fraudes ou, à tout le moins, attitudes décevantes qu’un tel nouveau régime de faveur pourrait engendrer. D’où, en ses articles 15 et 16, l’énoncé de quelques responsabilités et sanctions concevables : ainsi, le retrait du label pour la start-up qui cesserait de répondre aux critères d’éligibilité qui lui avaient initialement permis de l’obtenir, et qui entraînera très logiquement « la perte de tous les avantages liés au statut de start-up labellisée », ou encore, en des termes cependant un peu plus sibyllins, la sanction pour manquement à ses obligations que la loi a formulée en indiquant simplement que « toute start-up enregistrée ou labellisée qui manque, en totalité ou en partie, à ses obligations est sanctionnée proportionnellement à son manquement ». C’est dire que le start-upper indélicat ne pourra pas compter sur une impunité de principe, la loi lui offrant toutefois in fine une possible faculté de repentir à travers la voie de la régularisation que l’article 17 formule en ces termes : « La start-up légalement enregistrée ou labellisée se trouvant dans une situation d’irrégularité au regard des dispositions de la présente loi, peut faire la demande et obtenir auprès de la Commission sa régularisation ».
 
Ainsi, au final, doit-on vraiment féliciter le Sénégal d’avoir pris cette très heureuse initiative de doter les start-up d’un régime juridique spécifique et de faveur. Une fois encore, comme elle l’avait par exemple déjà fait pour la médiation à travers le récent Acte uniforme OHADA, l’Afrique se veut juridiquement pionnière, et gageons qu’elle en retirera très bientôt les justes fruits !      
 
 
 
Source : Actualités du droit