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La semaine du droit économique

Affaires - Droit économique
05/02/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin de la Cour de cassation, en droit économique, la semaine du 27 janvier 2020.
Maison de jeux de hasard – voie publique – droit d’entrée 
« Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2018), rendu en matière de référé, la société Winamax, qui exploite un site de poker en ligne permettant aux internautes de participer, notamment, à des tournois qu'elle organise, a mis en place un tournoi de poker en salle désigné sous l'appellation « Winamax Poker Tour », qui s'est déroulé au mois d'octobre 2017, en France, et dont la finale s'est tenue à Paris le 6 mars 2018.
Soutenant que cette opération constituait les infractions, d'une part, de tenue illicite de maison de jeu, de jeux de hasard sur la voie publique ou ses dépendances, d'autre part, de publicité pour une maison de jeux de hasard non autorisée, au sens de l'article L. 324-1 du Code de la sécurité intérieure, et qu'ils en subissaient un préjudice, le Syndicat des casinos modernes de France, le Syndicat des casinos de France, l'Association des casinos indépendants français et la société Forges thermal (les casinos) ont assigné la société Winamax en référé afin qu'il lui soit fait interdiction, sous astreinte, d'organiser les étapes en salle de ce tournoi. 
 
L'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice et l'intérêt d'une partie à interjeter appel doit être apprécié au jour où a été formé l'appel, dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet. 
Il résulte des mentions de l'arrêt que l'appel a été formé par déclaration du 8 novembre 2017 et que la finale du tournoi litigieux s'est déroulée le 6 mars 2018. Il s'ensuit qu'à la date à laquelle l'appel a été formé, le tournoi n'était pas achevé et que les casinos avaient intérêt à en demander l'interdiction.
Par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du Code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision déférée se trouve légalement justifiée de ce chef. 
Le moyen ne peut donc être accueilli.
 
L'arrêt relève qu'il ressort du règlement du tournoi Winamax Poker Tour que, pour y participer, les joueurs doivent posséder un compte Winamax nominatif et validé, ainsi que collecter des « tickets starting block » en fonction de leur activité sur le site de Winamax. Il relève encore que certains de ces tickets peuvent être obtenus gratuitement, au titre de l'offre de fidélité, mais aussi à l'occasion et au prorata des jeux d'argent pratiqués en « cash game » dans les tournois préliminaires organisés sur le site de Winamax, ayant nécessité des mises financières de la part des joueurs. Il en déduit que le droit d'entrée pour les tournois en salle dépend du statut de joueur en ligne et des points de fidélité gagnés en jouant en argent réel sur le site et pouvant être augmentés, selon la fréquentation du joueur. Il retient, enfin, que si les tickets distribués gratuitement par le site à l'inscription ou aux étapes préliminaires ne suffisaient pas à gagner une place en finale, il était permis aux joueurs d'en obtenir d'autres en jouant des sommes d'argent ou en prenant des paris sportifs payants sur le site Winamax.
En l'état de ces constatations et appréciations, dont il ressort que, si des tickets d'entrée et de participation au tournoi pouvaient être obtenus gratuitement, ceux-ci devaient être complétés par des points de fidélités obtenus en pratiquant des jeux d'argent soit en salle, soit sur le site, lesquels nécessitaient des mises financières réelles de la part des joueurs, la cour d'appel qui n'a pas, contrairement à ce que soutient le moyen, constaté que le tournoi en cause comportait une voie d'accès purement gratuite, a exactement retenu que la participation au tournoi exigeait un sacrifice financier de la part des participants.
Le moyen n'est donc pas fondé.
 
Il résulte du considérant 9 de la directive 2005/29/CE du 17 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur que ses dispositions s'appliquent sans préjudice des règles communautaires et nationales relatives aux régimes d'autorisation, notamment, les règles qui, conformément au droit communautaire, concernent les activités de jeux d'argent. Il s'ensuit que les dispositions législatives et réglementaires nationales de police qui régissent les jeux d'argent ne sauraient être écartées au motif que la pratique en cause ne relèverait pas des dispositions de la directive précitée et ne serait donc pas prohibée par les dispositions de celle-ci.
L'arrêt rappelle, d'une part, que l'article L. 324-1 du Code de la sécurité intérieure réprime le fait de participer à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, d'autre part, qu'entrent dans le champ de la prohibition les loteries qui réunissent les quatre caractéristiques suivantes, une offre au public, l'espérance d'un gain, l'intervention du hasard et, enfin, une participation financière exigée par l'opérateur quelle qu'en soit sa forme. Ayant constaté que le tournoi « Winamax Poker Tour », organisé en salles, portait sur un jeu de hasard suscitant l'espérance d'un gain, faisait l'objet d'une offre au public au moyen d'une publicité importante, exigeait un sacrifice financier, et qu'il répondait à ces quatre caractéristiques, la cour d'appel, sans avoir à constater que cette pratique était déloyale et sans qu'importe que la société Winamax exploite un site de poker en ligne agréé par l'ARJEL, en a exactement déduit que cette société ne respectait pas la réglementation applicable, ce qui constituait un trouble manifestement illicite.
Le moyen n'est donc pas fondé.
En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 2 de la directive 2005/29/CE du 17 mai 2005, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ».
Cass. com., 29 janv. 2020, n° 18-22.137, P+B *
 
Jeux de hasard – chances de gagner – comportement économique d’un consommateur 
« Le 8 mars 2014, M. X s’est plaint auprès de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de ce qu’il avait acquis des grilles de jeux de hasard sur un site en ligne dénommé Pronofaste sans avoir jamais gagné.
Selon l’enquête de ce service administratif suivie d’une enquête de gendarmerie, le site dénommé www.pronofaste.com proposait d’acheter des grilles des jeux Loto et Euromillions censées procurer, en raison du recours à une méthode de calcul scientifique, une plus grande chance de gains que celles acquises en dehors du site, ce qui était authentifié par un huissier nommément désigné. Le site, les achats de grilles et la distribution des gains étaient assurés par une société gérée par Mme Y à qui son mari, souvent cité dans le site sous un pseudonyme, fournissait les grilles vendues.
Les époux Y ont été poursuivis, pour pratique commerciale trompeuse consistant dans l’affirmation qu’un produit ou un service augmentait les chances de gagner aux jeux de hasard, devant le tribunal correctionnel qui les en a déclarés coupables.
Les prévenus ont relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public.
 
Pour confirmer le jugement ayant déclaré les prévenus coupables, l’arrêt attaqué, après avoir rappelé les caractéristiques du site et les mentions selon lesquelles il y était affirmé l’augmentation des chances de gagner aux jeux de hasard que sont le Loto et Euromillions, énonce que les prévenus tentent de prouver que leur méthode est efficace et repose sur des bases scientifiques, mais qu’une telle efficacité n’est pas démontrée.
Les juges ajoutent que les documents déposés par les prévenus, établissant l’existence de constats d'huissier comparant le nombre de grilles ayant proposé, sur le site, les numéros gagnants et le nombre de gagnants officiels, ainsi que l'existence de gains passés de M. Y et la preuve que le plaignant avait, contrairement à ses déclarations, plusieurs fois gagné en ayant recours au site ne sont d'aucune utilité, dès lors qu’en vertu de l’article L. 121-1-1 devenu L. 121-4 du Code de la consommation, l’infraction est constituée à partir du moment où il est affirmé que le site Pronofaste augmente les chances de gagner par rapport à un joueur n’ayant pas recours à ce site, quelle que soit la réalité tant de l’efficacité des calculs présidant à la mise en ligne des grilles que de l’accroissement des chances de gagner.
 
En l’état de ces énonciations, la cour d’appel, qui n’a pas présumé la culpabilité des prévenus, a justifié sa décision.
En premier lieu, le seul fait d’affirmer d’un produit ou d’un service qu’il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard suffit à caractériser l’élément matériel constitutif de l’infraction prévue par le 15° de l’article L. 121-1-1 devenu L. 121-4 du Code de la consommation.
En second lieu, en vertu de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, à la lumière de laquelle les textes français doivent être interprétés, les pratiques commerciales qui, comme celle relative aux jeux de hasard, figurent dans l’annexe I de ladite directive sont considérées comme déloyales en toutes circonstances, sans qu’il soit nécessaire pour le juge répressif de caractériser une altération du comportement économique d’un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ».
Cass. crim., 28 janv. 2020, n° 19-80.496, P+B+I *

*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 5 mars 2020
Source : Actualités du droit